TDAH et Autisme : Quand « masquer » sauve l’apparence… mais use l’intérieur

Le phénomène du masking chez les femmes : pourquoi il complique le diagnostic du TDAH et de l’autisme — et comment il mène à l’épuisement et à l’errance médicale

Beaucoup de femmes présentent aujourd’hui des troubles neurodéveloppementaux (TDAH, trouble du spectre de l’autisme — TSA) mais sont diagnostiquées plus tard que les hommes, ou ne le sont pas du tout. Une des explications majeures identifiée par la recherche est le masking, aussi appelé camouflaging ou social camouflaging, c’est-à-dire l’ensemble des stratégies conscientes ou inconscientes que certaines personnes mettent en place pour dissimuler leurs traits neurodivergents et « rentrer dans la norme ». Ces stratégies permettent souvent de mieux s’adapter dans la vie sociale, scolaire ou professionnelle… au prix d’un coût psychologique important. C’est ce qui m’est arrivé pendant 43 ans!

1) Qu’est-ce que le masking (camouflaging) exactement ?

Le masking regroupe des comportements comme :

imiter des expressions faciales, des mimiques ou des gestes « attendus »,

réprimer des stims (comportements répétitifs apaisants),

préparer et répéter des répliques sociales,

surinvestir dans la lecture des codes sociaux (mimétisme),

minimiser ses propres difficultés (expliquer des problèmes par le stress, la fatigue, etc.).

Ces stratégies peuvent être délibérées (je fais un effort pour « faire comme si ») ou automatiques (habitudes façonnées depuis l’enfance, ce qui est complétement mon cas). Les chercheur·se·s ont développé des outils pour mesurer ces comportements (par exemple le CAT-Q, Camouflaging Autistic Traits Questionnaire). 

2) Pourquoi le masking est-il plus fréquent chez les femmes ?

Chez les femmes, plusieurs facteurs se conjuguent :

Normes sociales genrées : les filles et les femmes sont souvent socialisées à être « agréables », conciliantes, attentives aux émotions d’autrui — des attentes qui favorisent l’apprentissage du camouflage. Pour ma part, j’ai été éduquée dans une petite école catholique avec uniforme, règles strictes, et aucun débordement n’était toléré. J’ai donc été dans l’obligation de me fondre dans la masse très tôt sur beaucoup d’aspects comme la politesse, la retenu en publique, etc…

Critères de diagnostic historiquement masculins : les descriptions classiques du TSA et du TDAH ont été établies à partir d’études majoritairement masculines, ce qui favorise la reconnaissance des profils « typiques » masculins mais laisse moins de place aux présentations féminines (plus internalisées, moins hyperactives).

Compensations et stratégies adaptatives : beaucoup de femmes développent tôt des stratégies pour compenser les difficultés, ce qui masque la sévérité apparente du trouble aux yeux des proches et des professionnels.

La recherche documente que ces mécanismes contribuent à des diagnostics retardés et à des prises en charge incomplètes. 

3) Le masking : une solution coûteuse — comment il mène à l’épuisement

Masquer en permanence demande une dépense cognitive et émotionnelle élevée : hypervigilance, contrôle des réponses, suppression de besoins sensoriels et émotionnels. À la longue, cela se traduit par :

fatigue chronique et sentiment d’épuisement (burnout/cognitive/emotional burnout),

perte d’identité (difficulté à savoir qui l’on est sans le « masque »),

augmentation du stress et de l’anxiété.

Plusieurs études et revues montrent une association entre niveaux élevés de camouflaging et des indices plus élevés d’anxiété, de détresse et de symptômes dépressifs. Le camouflaging est donc considéré comme un facteur de risque pour le burnout autistique et pour l’épuisement psychique. 

4) Du masking à la dépression — un parcours fréquent et mal repéré

Le processus se déroule souvent ainsi :

1. Masquage prolongé depuis l’enfance ou l’adolescence pour « ressembler » aux pairs.

2. Accumulation de fatigue émotionnelle et cognitive.

3. Surgissement d’épisodes dépressifs à répétition (ou d’anxiété sévère) lorsque les ressources se tarissent (par exemple après un événement stressant, un changement de vie, ou juste l’effet cumulatif).

4. Consultation médicale pour dépression/anxiété — on traite souvent les symptômes par antidépresseurs ou anxiolytiques sans explorer systématiquement la possibilité d’un TDAH/TSA sous-jacent.

Or si la cause profonde (le trouble neurodéveloppemental+le masking) n’est pas identifiée, le traitement symptomatique isolé (antidépresseurs seuls, ou thérapies non adaptées) peut apporter un soulagement partiel, mais ne résout pas la source de l’épuisement : la nécessité permanente de camoufler et d’adapter son comportement. On entre alors dans une spirale sans fin de Up & Down… Les études qualitatives et quantitatives montrent que ce parcours mène fréquemment à une errance de diagnostique, des années d’aller-retour entre spécialistes, mauvaises étiquettes (trouble de l’humeur seul, trouble de la personnalité, burn-out générique), et manque d’accompagnement adapté. 

5) Conséquences cliniques et sociales de cette errance

Soins inadaptés : prescription d’antidépresseurs sans interventions psychoéducatives, sans ajustements environnementaux ou sans prise en compte de la gestion sensorielle/structurelle.

Sentiment d’incompréhension et stigmatisation : la personne se sent mal comprise par le système de soin.

Retard dans l’accès à des aides concrètes (aménagements professionnels, stratégies d’auto-prise en charge, groupes de pair·e·s, thérapies ciblées).

Risque suicidaire accru : la littérature signale des taux plus élevés d’idées suicidaires dans les populations autistes et dans celles avec comorbidités non traitées — ce qui rend cruciale la reconnaissance précoce et globale des difficultés. 

6) Que peuvent faire les professionnel·le·s de santé ? (recommandations pratiques)

1. Questionner sur le masking : poser des questions sur les stratégies d’adaptation sociales (préparation des interactions, imitation, suppression de stims) lors des bilans cliniques. L’utilisation d’outils comme le CAT-Q (Questionnaire sur les Traits Autistiques de Camouflage ) peut aider. 

2. Adopter une grille d’évaluation sensible au genre : reconnaître que les manifestations du TDAH/TSA diffèrent parfois selon le genre et que les critères « classiques » peuvent manquer des formes internalisées. 

3. Ne pas se contenter d’un traitement symptomatique : devant une dépression récurrente, penser à rechercher des facteurs neurodéveloppementaux sous-jacents, surtout en cas d’histoire de « suradaptation », de difficultés scolaires ou de régulation sensorielle. 

4. Proposer des approches multimodales : informations, psychoéducation, aménagements pratiques (temps, environnement, gestion sensorielle), thérapies adaptées, et médication ciblée si besoin.

5. Valoriser le récit patient : laisser la place aux descriptions subjectives (quand et comment la personne se sent obligée de masquer) et prendre en compte l’impact fonctionnel plutôt que de se limiter à des listes de symptômes.

7) Et si tu te reconnais dans ce parcours : quoi faire ?

Evoquer de masking avec un professionnel de la santé mentale (même si tu as l’impression d’avoir « réussi » à t’adapter).

Demander un bilan neuropsy sérieux (psychologue clinicien·ne, psychiatre spécialisé, centres ressources) si l’épuisement, l’anxiété ou la dépression persistent malgré des traitements.

Chercher de la psychoéducation : comprendre ce qu’est le TDAH/TSA permet souvent d’ajuster le quotidien et de diminuer la culpabilité.

Trouver un·e clinicien·ne qui connaît la neurodiversité : la qualité de l’écoute et la prise en compte des stratégies de camouflages font souvent la différence.

Groupes de pairs : échanger avec d’autres femmes/neurodivergentes peut aider à défaire l’isolement et à découvrir des stratégies d’adaptation plus saines (diminuer progressivement le masking, poser des limites, aménager son environnement).

8) Reconnaître pour mieux soigner

Le masking est à la fois une stratégie d’adaptation qui a permis à beaucoup de survivre socialement et une source d’usure qui contribue à l’épuisement, à la dépression et à l’errance médicale. Reconnaître l’existence du masking, et son rôle concret dans le retard de diagnostic chez les femmes est indispensable pour proposer des prises en charge justes, holistiques et respectueuses. La médecine gagne énormément à écouter les récits, à s’outiller pour repérer la neurodiversité et à ne pas réduire les épisodes dépressifs à une simple « maladie de l’humeur » sans chercher plus loin.

Références clés (sélection pour aller plus loin)

1. Hull L., Mandy W., & Petrides K. V. Development and validation of the Camouflaging Autistic Traits Questionnaire (CAT-Q). (2019). 

2. Cook J., Ogden J., Leedham A. Camouflaging in autism: A systematic review (2021) — synthèse des preuves sur motivations et conséquences du camouflaging. 

3. Alaghband-Rad J., et al. Camouflage and masking behavior in adult autism (2023) — revue sur les conséquences (dépression, anxiété, burn-out) et le retard de diagnostic. 

4. Kooij J. J. S., et al. Research advances and future directions in female ADHD (Frontiers, 2025) — sur le retard de diagnostic chez les femmes et les stratégies compensatoires. 

5. Gesi C., et al. The Relationship Between Camouflaging and Lifetime … (Brain Sciences, 2025) — étude récente sur le lien entre camouflaging et santé mentale. 

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